« La Mothe »
La Mothe, une maison forte
Érigée à la in du XIVe siècle, pendant la guerre de Cent Ans. C’est une métairie rattachée à la châtellenie de Montréal et le siège de la juridiction d’Issac. (voir Histoire)
Important corps de bâtiment carré, environ 14 mètres de côté, établi partiellement sur des caves basses ; épais murs talutés – rez-de chaussée 120 centimètres, étage 100 centimètres – en appareil régulier de pierre calcaire à fossiles.
Système de défense : la maison est flanquée aux angles de trois échauguettes en encorbellement, partiellement arasées au XIX siècle. La tourelle nord-est n’existe plus.
Trois meurtrières obliques ouvertes sur les façades, deux au Sud et une à l’Ouest ; à l’intérieur du logis, deux bouches à feu à redans : elles commandaient au XIVe siècle l’accès à la porte d’entrée du logis et à un escalier de pierre menant à l’étage, escalier aujourd’hui disparu.
Le domaine était par ailleurs enclos de murailles sur les ruines desquelles aujourd’hui prennent appui les restes d’une porcherie avec toiture à un rang de génoise.
Deux grandes cheminées : une à foyer ouvert au rez-de-chaussée ; à l’étage, dans l’ancienne pièce principale du logis seigneurial, une imposante cheminée du XVe siècle, piédroits à corniches. Massif unique d’évacuation des fumées au centre du bâtiment.
Au Nord, en mitoyenneté, partie d’un bâtiment du XVIe siècle, présentant à l’Est les traces de deux baies à meneaux obstruées État primitif des tourelles et à l’Ouest les piliers d’une galerie couverte. L’appareillage des fenêtres ayant été conservé, cette façade Est présente un raccourci de l’histoire du bâtiment et des modifications successives intervenues depuis sa fondation au Moyen-âge.
De nos jours l’entrée principale du logis se fait au Sud par un perron de pierre. La façade présente à l’étage deux baies XVII avec entablement dont un denticulé ; au plein centre, les traces des parements d’une grande fenêtre à meneaux identique à celles de la façade Est. Cloche rapportée d’un château bourguignon à gauche de l’entrée posée par les actuels propriétaires.
Au droit de la porte Ouest, accès à un puits ou cluzeau appareillé de pierres sur trois mètres de profondeur puis taillé dans la roche affleurante ; un mètre de diamètre d’ouverture, fermé d’une grille à barreaux forgés : à rapprocher d’un récit traditionnel faisant état d’un souterrain reliant directement le château de Montréal à la Mothe?
Une maison à travers l’Histoire
Issac, la villa d’Iccius à l’époque Gallo-Romaine : c’était peut-être un domaine agricole attribué à un officier vétéran des Légions romaines. De nombreux vestiges dans les fouilles effectuées à l’ouest et au sud du village actuel : tessons de vaisselles, lampes à huile, sépultures sous tuiles…
Au cours des siècles, divers toponymes apparaissent : Issacum dans un pouillé notarial au XIIIème siècle ; Eychacum en 1342 ; Issac en 1365 mais encore Eyssac au XVIeme siècle dans les Actes de la Châtellenie du Périgord ; la dénomination Issac s’impose définitivement après 1560.
Issac est situé sur la via lemovicensis, la voie limousine des chemins français vers Saint Jacques de Compostelle, entre Périgueux et Mont de Marsan via Bergerac. Refuges et lazaret à Villamblard et à Campsegret.
1337 – 1453 : la Guerre de Cent Ans entre les royaumes de France et d’Angleterre provoque de profonds et durables désordres aggravés par une sévère épidémie de peste noire entre 1347 et 1351. Les campagnes sont dévastées : emblavures piétinées par les troupes de cavaliers, populations soumises aux exactions de la soldatesque qui vole, viole, s’empare du bétail, confisque les récoltes… les disettes puis les famines s’installent, poussant à leur tour les plus démunis à se constituer en bandes : compagnies de routiers, gueuseries, croquants, jacqueries qui errent en quête de nourriture … C’est la terrible époque des Danses Macabres.
Le Périgord, province française mitoyenne de la Guyenne et de l’Angoûmois anglais est stratégiquement très exposé ; il sera même brièvement rattaché à l’Aquitaine anglaise après le traité de Brétigny en 1360. Pour sécuriser leurs vies et leurs biens, les petits hobereaux, la noblesse de robe, les métayers les plus importants… dotent leurs « repaires » en moyens de défense susceptibles de dissuader les assaillants. Plus de mille « maisons fortes » sont ainsi édifiées en Périgord. Issac en compte deux, La Massinie à l’est et La Mothe au cœur même du village. Il faut attendre 1453 et la victoire française à Castillon pour que cesse définitivement la Guerre de Cent ans. Au soir de la bataille, Michel de Peyronencq, seigneur de Montréal, récupère sur le corps du chef anglais John Talbot un reliquaire réputé contenir une Sainte épine de la couronne du Christ. La précieuse relique, conservée dans la chapelle éponyme du château, sera traditionnellement présentée le vendredi Saint aux paroissiens de l’église d’Issac. Le reliquaire – monstrance de la sainte épine figure encore aujourd’hui sur le blason du village d’Issac.
1552 – 1589 La Mothe au temps des Guerres de Religions. Après avoir essuyé une défaite à Moncontour près de Poitiers (1569), Coligny et son armée rejoignent leurs terres du Languedoc par la Rochelle, Mussidan, Bergerac, toutes villes acquises à la Réforme… mais aussi sous les murs du château de Montréal. François de Pontbriand, gouverneur et sénéchal du Limousin, seigneur de Montréal, se sentant menacé et vulnérable, avait testé dans l’urgence pour organiser la tutelle de son très jeune fils Hector après sa disparition, et dresser l’état de ses possessions. C’est Bertholmieu Bonnet, procureur d’office de la châtellenie qui fut chargé de rédiger les actes et qui procéda en octobre 1569 à l’ inventaire complet des biens mobiliers et immobiliers du seigneur de Montréal ; la Mothe y est décrite comme « sise près du Temple… ouverte par un grand pourtail joignant audit Temple… ledit pourtal fermant la bassecour de ladite maison… » Suit la description des lieux témoignant d’une relative modestie et vétusté des meubles, à l’exception notable des caves resserrant des quantités importantes de vivres – froment, seigle, avoine, fèves, quarante barriques de vin -, et des matériaux – pieux, poutrelles-, le tout destiné « aulx soldatz et autres gens pour la guarde dudict chasteau, que aulx massons et charpentiers et maneufvres, pour la réparation et aultres fortiffications dudit chasteau, le tout à raison des guerres ».
Peu de temps après avoir rédigé ces actes, Bertholmieu Bonnet acquiert « la maison noble de la Mothe » dans des conditions moralement et juridiquement douteuses, mais économiquement sûrement très favorables pour lui. Issu d’une famille très modeste – ses parents étaient taverniers à Saint-Hilaire d’Estissac – Bonnet, d’abord tabellion, c’est-à-dire notaire, puis procureur d’office et « Seigneur de la Massinie », appartient à cette noblesse de robe en pleine ascension sociale. comme en témoigne les armes de son blason « d’azur à la montagne d’argent, au Phénix les ailes éployées regardant au soleil d’or »
En 1579, il achète Leymonie à quelques lieues d’Issac, terrier sur lequel son fils François fait construire, un an plus tard, le château du Maupas.
Bonnet restaure La Mothe, « plusieurs fois ruinée du fait des guerres incessantes » et l’agrandit d’une aile construite dans l’esprit de la Renaissance alors dominant. Située dans le prolongement du mur Nord, elle présentait à l’Est des grandes fenêtres simples et doubles à meneaux et à l’Ouest une galerie ouverte à colonnes.
Pendant la minorité du jeune seigneur de Montréal, c’est aussi Bonnet qui commande la garnison du château, mais peut-être « ébloui » lui-même par ses succès, il fait ensevelir son épouse Mariothe dans le chœur de l’église d’Issac, usurpant un droit acquis par privilège aux seuls châtelains de Montréal.
C’en était trop pour l’héritier légitime du domaine qui, devenu majeur, ne manqua pas de contester la validité de la transaction intervenue alors qu’il était enfant, la qualifiant même de véritable « extorsion ». En 1597, après dix années de procédures et chicanes juridiques, La Mothe, alors détenu par Jehan lesecond fils de François, lui est restituée par arrêt de la sénéchaussée du Périgord mais le couple de gisants sculptés représentant son père, François de Pontbriand, et sa première épouse, Anne Grossolles-Flamarens, ne fut jamais transféré à l’emplacement prévu pour lui dans le chœur de l’église d’Issac ; on peut toujours l’admirer aujourd’hui dans la chapelle du château.
En 1617, Hughes de Pontbriand projette de transformer La Mothe en maison religieuse pour sa fille Anne, nonne au couvent de femmes de Champagne et Fontaine régie par la règle de Saint Benoît. Le projet resta sans suite mais c’est peut-être à cette époque et dans cette perspective, que des modifications furent apportées aux ouvertures de la demeure : de nouvelles fenêtres dans « le goût français » vinrent remplacer les baies Renaissance à meneaux dont le style italianisant semblait désormais désuet.
Pour des raisons inconnues, les familles Pontbriand et de Foucauld connurent au XVIIe siècle de graves revers de fortune. En 1639, le domaine étant décrétée, c’est-à-dire exproprié et vendu démembré, La Mothe rompît son lien de vassalité avec le château. En 1649, Montréal fût vendu par adjudication à François Philibert Duchesne, seigneur du Breuilh, pour la somme de 131000 livres. Par legs familial en 1752, le château de Montréal devint propriété de la famille Faubournet–Montferrand. Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur de France et son épouse Catherine en sont toujours aujourd’hui les occupants.
A la fin du XIXe, La Mothe, alors bien communal, est transformée pendant quelques années en bureau des Postes et Télégraphe, puis revendue à des particuliers.
Le blason d’Issac
Bibliographie
- Dictionnaire Topographique de la Dordogne, par Alexis de Gourgues, 1873 .
- Archives Départementales de la Dordogne, sous-série 2E, tome II
- Le Périgord des maisons fortes, par Jean-Marie Bélingard, éditions Pilote 24, 1999. (pages 29, 73 à 77 )
- Demeures historiques du Villamblardais, par Pascal Belaud et Jean-Paul Bordier
- Patrimoine et médias (2003, pages 61, 62).
- Inventaire du château de Montréal, Pedone Lauriel éditeur (1842), par Henri de Montégut (pages 64,67,79,80).
- Périgord Magazine n° 212 : le château de Montréal.
- Bulletin Taillefer n°31, La puissance éphémère de la Famille Bonnet par Jean Raspiengeas.
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